« Je suis simplement heureux d’avoir trouvé une forme de liberté dans le fond et dans la forme, et de participer, à mon échelle, à la “culture du pays” grâce à l’art. J’essaye de partager un regard sur ce pays qui ne soit ni arrogant, ni condescendant, ni égocentré, ni prétentieux. Si je peux en vivre tout en faisant plaisir à d’autres, alors pourquoi pas »— Raphaël Seyfried
Avec Raphaël on se « parle » depuis le 17 novembre dernier suite à une story rigolote qu’il avait postée sur Instagram: Travel Roll.
Oui je sais, ma mère m’a aussi dit qu’il ne fallait pas parler avec des inconnus HaHaHa, mais c’est plus fort que moi et c’est le rôle d’Instagram : un lieu idéal pour contacter des artistes sympas.
D’ailleurs j’ai déjà rencontré plusieurs d’entre-eux dans la vraie vie et ils ne sont pas du tout « dangereux »!
Sans détours il y a deux choses qui sautent aux yeux quand on suit Raphaël (Instagram):
- La beauté et la forme (bluffant) de ses « carnets ».
- Sa sympathie.
Son nom est Raphaël Seyfried
Pour dessiner et voyager, Raphaël dessine dans des carnets enroulés ou « rouleaux de voyage » car il trouvait qu’ils étaient bien mieux que les carnets classiques où le fait de tourner les pages pour réaliser le dessin suivant, cassait l’idée… Comme si le voyage s’arrêtait à chaque double page.
Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir interviewer Raphaël et de vous faire découvrir nombre de ses secrets.
Je vous avoue qu’il ne m’était pas très facile de choisir les questions à lui poser, puisque son site est déjà si complet (site internet) avec un tas d’informations, alors dans cet interview on va essayer de ne pas trop se répéter.
J’ai commandé deux de ses rouleaux pour mieux voir et comprendre son travail, et j’adore!
Pour commencer regardez cette vidéo:
Bonjour Raphaël,
Pourrais-tu te présenter rapidement?
Je m’appelle Raphaël, j’ai grandi dans la ferme familiale d’un petit village à côté de Strasbourg dans l’Est de la France, en Alsace, tout proche de la frontière Allemande. Je suis du signe du Crabe, et je prends beaucoup de temps pour avancer dans la vie parce que je marche de profil. Je suis actuellement à la recherche d’une cabane dans les bois dans un lieu pas trop froid!
Quel est ton parcours artistique? Dessinais-tu à l’école, pendant l’adolescence?
Durant l’enfance, le dessin, la lecture de BD et de livres d’aventures, d’Atlas géographique ainsi que d’encyclopédies, comme celle de « Tout l’Univers » par exemple, étaient mon refuge. C’est à l’âge de 14-15 ans, lors du premier choix d’étude à faire dans sa vie, que mon père a catégoriquement refusé l’orientation que je souhaitais faire vers une école de dessin. « Cela ne sert à rien! ». C’est à partir de ce moment, que je n’ai presque plus touché à un seul crayon jusqu’à la trentaine.
Je m’oriente donc, comme le veux la « bienveillance patriarcale », vers des études d’agriculture et d’aménagement du territoire…puis d’éducation à l’environnement… puis de communication visuelle et multimédia… le tout parsemé de dizaines de petits boulots en tout genre durant de nombreuses années! Agriculteur, serveur, manutention, travaux publics, intérimaire, animateur, vendeur en supermarché…
En clair, pendant plus d’une quinzaine d’années je me cherche (et ne me trouve pas!) à travers un parcours chaotique.
C’est lors de ma reprise d’études en Architecture du Paysage et Urbanisme à l’Université de Genève à l’âge de 28 ans que mon goût pour le dessin réapparaît.
L’école d’Architecture dans le monde d’aujourd’hui n’apprend plus à dessiner comme d’antan. Par manque de temps ou d’argent. Les outils informatiques étant de plus en plus performant, c’est au bon vouloir de chacun d’aller « plus loin » que la simple initiation au dessin.
Et c’est cela même qui m’a rappelé ce vieux rêve d’enfant de vouloir dessiner.
Suite à l’obtention de mon diplôme à l’âge de 32 ans et de résultats faisant partie des majors de promo, j’ai travaillé dans un bureau d’urbanisme à Lausanne, en Suisse, durant 2 ans. De plus, mon projet de diplôme m’avait permis de partir travailler sur un site archéologique dans le sud de l’Albanie, j’ai maintenu une relation avec l’équipe de spécialistes et d’archéologues en place et participé aux dessins archéologiques durant les 3 années suivantes.
Dans la foulée, vient la rencontre d’Océan 71 (aujourd’hui « Fondation Octopus« ) sur ce même site d’archéologie, une équipe de fous-furieux équipés d’un voilier qui travaille sur la sauvegarde des fonds sous-marins en Méditerranée principalement.
Plongeurs photographes, fabricants de drones et de mini sous-marins, journalistes-skypper… Ils me proposent une petite aventure d’un mois sur leur voilier en Grèce, à la « recherche du phoque moine », me permettant ainsi de dessiner l’aventure et eux d’appréhender l’outil illustratif pour agrémenter leurs futurs articles.
C’est aussi à ce moment là que je (ré)apprend à nager! « Si je ne le fais pas avec des plongeurs-skypper-capitaine de bateau et surtout amis en confiance… alors je ne le ferai jamais! N’est ce pas! »
Suite à ces expériences de vie, mon intérieur se ronge toujours un peu plus de cette envie profonde et certaine de vouloir nourrir mon Être d’un autre monde, quel qu’il soit!
Après des mois de peurs du lâcher prise je décide de démissionner de mon travail bien loti et de partir à l’aventure pour voyager et dessiner. L’objectif de départ n’avait pas de but si ce n’est de vivre mes rêves de gosses et d’améliorer mon dessin « techniquement » parlant.
Après l’Albanie et la Grèce, direction la Nouvelle-Zélande, l’Australie jusqu’à mon arrivé au Cambodge en 2015.
C’est en janvier 2016 que je décide de créer ce qui s’appelle aujourd’hui “Travel Roll” (rouleau de voyage): des carnets illustrés sous forme de rouleau. Enroulés sur la bibliothèque comme une relique moderne ou encadrés dans un tableau, c’est à travers le ressenti et un regard sensible que les parchemins se déroulent comme une prière racontant une histoire en dessins.
Quelle est ton approche de l’art et de la pratique artistique?
Et ton approche au dessin? Comment l’as-tu découverte?
Comment choisis-tu tes sujets?
Il me semble que la pratique artistique est davantage une façon de « voir le monde » qu’une pratique technique en tant que tel. On dort avec, on se lève avec et on vit avec au quotidien.
Davantage illustrateur qu’artiste, je partage le goût de la liberté, de la philosophie de vie, de la singularité et de la rencontre avec son propre intérieur. Le dessin m’a donné l’opportunité de m’échapper en dehors du monde qui nous entoure.
« Explorer des vies passées, imaginer des mondes futurs, prendre son temps, s’asseoir, contempler, regarder, détailler un paysage, une culture, tenter de changer de lunettes, de voir autrement, d’apprendre, de comprendre l’humain et les planètes de chacun. Le dessin aide à ne pas oublier, pour la mémoire, pour se souvenir, pour raconter, pour rêver. Il nourrit d’authenticité, de profondeur, de sensibilité et de ‘’vrai’’ » .
Pour nourrir la créativité il faut, je crois, bien davantage que le simple voyage physique d’un point A à un point B. Il faut s’alimenter de références en tout genre. De la lecture à l’illustration, de la musique aux leçons d’Histoires. Je m’inspire de tout. Je suis très curieux de nature.
Pour choisir un sujet, je commence par m’orienter vers une « thématique » qui me plaît (jungle, temples, danse, grottes, le végétal…) et je vais chercher à lui donner de la contenance en l’alimentant avec mes références en lien avec le voyage du moment, avec mes dossiers collectionnés, et en cherchant de nouvelles informations.
J’accumule depuis des années ma propre collection de références (textes, photos, images, vidéos, podcast…) rangée et triée dans mes dossiers car j’aime savoir le pourquoi du comment. Lorsqu’un sujet m’intéresse je peux passer des heures à chercher davantage de renseignements et d’informations, voir ce qu’il se fait, ce qu’il se dit ou ne se dit pas! Un sujet amène un autre sujet, c’est une pensée en arborescence qui a aussi ces désavantages: comme cette rumination mentale qui vous submerge d’émotions et d’angoisses à force de « trop réfléchir »!
Dessines-tu d’après modèles, imagination, documents, photos?
Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont inspiré ou qui t’inspirent dans tes œuvres? Des commandes?
Au Cambodge de 2015 à 2020 et par intermittences depuis la période du Covid, j’ai le temps de dessiner ce pays en étant sur place. Durant les premières années j’ai essentiellement dessiné in-situ du début à la fin.
Mais il faut bien avouer que le confort d’un atelier, l’ensemble de ses outils proche de soi, un bureau et un fauteuil confortable sans tous les aléas de la mousson vous apportent beaucoup d’avantages sur l’avancement du travail en cours!
Si je crois que nous nous inspirons tous de l’existant et des autres pour imaginer de nouveaux modèles, je m’éloigne aujourd’hui de plus en plus du réel pour éviter d’en créer de pâles copies déjà photographiées ou déjà illustrées par de nombreuses personnes. Je crois qu’il est vital d’utiliser ses propres émotions pour se permettre de réinterpréter ce que l’on voit en face de soi.
C’est à travers le pouvoir de l’imagination que je m’évade dans mon monde. Le dessin me permet d’incarner ce voyage imaginaire qui n’existe pas ou plus.
Comme cité plus haut, mes inspirations sont diverses et pas uniquement issues du domaine de l’illustration mais aussi de la photographie, de la musique, du cinéma, de la philosophie. Et lorsque l’on est en manque d’inspiration, il suffit parfois de se promener dans un jardin ou dans une librairie, et pas nécessairement de parcourir des milliers de kilomètres tout simplement.
Liste de personnalités publiques qui m’inspirent:
- François Schuiten
- Alex Alice
- Rebecca Dautremer
- Jérôme Bosch
- Gustave Doré
- Antoine de Saint-Exupéry
- Alexandre Astier
Je travaille rarement sur commande, c’est une question de choix et de liberté mais qui a ses limites. En effet, vivre pleinement de son art et sans contrainte implique un peu de résilience, de sobriété et de beaucoup de compétences variées.
Quels médias / supports utilises-tu? (stylos, aquarelles, crayons, etc)
Quel est selon toi, le matériel indispensable à avoir?
La technique est-elle indispensable?
Et d’ailleurs, comment trouver son style en tant qu’artiste?
J’utilise du papier Arches 300 à 350 grammes que je teinte dans la masse avec du brou de noix très dilué. Ensuite c’est du crayon 2H-4H pour l’esquisse, de l’aquarelle de la marque Mijello Gold Mission, une marque Coréenne. Leurs couleurs sont très lumineuses et bien saturées en pigments. Plutôt destinée au graphiste à l’origine, c’est surtout une aquarelle sans additifs toxiques ou chimiques tout en étant durable dans le temps. J’utilise aussi des crayons de couleurs gras et secs, du feutre, de l’encre de Chine… tout un mélange quoi!
Un rouleau original fait environ 250 x 30 cm et nécessite 4 à 6 semaines de travail.
Lorsque j’ai terminé le dessin, celui-ci est numérisé morceaux par morceaux entre 600 et 1200dpi. C’est un travail long et chronophage de remise en page sur photoshop. Il faut plus d’une cinquantaine d’images numérisées, parfois beaucoup plus, à recoller ensemble pour que le fichier informatique finale soit envoyé à l’imprimeur et passer à l’étape des ajustements colorimétriques. Cette phase de post-production nécessite environ 2 semaines de travail.
C’est une à deux éditions de nouveaux parchemins chaque année seulement. Car le dessin ne représente qu’une partie du temps de travail. Il faut aussi savoir maîtriser:
- Les outils de publications et de mise en page pour créer les étiquettes et autres stickers pour les packagings.
- Savoir utiliser les outils de travail à l’atelier du bois pour créer ses propres encadrements et autres étuis en éditions limitées.
- Connaître les langages informatiques pour savoir mettre à jour son site internet
- Prendre du temps pour communiquer sur son travail à travers les réseaux sociaux.
Son style graphique est le reflet esthétique de son esprit et des connexions que l’on se fabrique: il représente pour moi sa propre interprétation de la beauté.
«La beauté se lit dans les détails»
J’essaye de trouver ma propre technique par la surenchère du détail, mais c’est aussi une maladie : la névrose du coloriage qui fait méditer.
Je crois que l’on « trouve » son style lorsque l’on fait les choses pour soi-même, et non plus pour répondre à une attente ou une commande. Le carnet de voyage à le défaut d’être un outil trop souvent utilisé pour ne pas avoir le besoin de parler de soi-même mais davantage pour exprimer des choses que nous ne sommes pas: ce qui est, à mon sens l’antithèse de l’expression artistique.
Peux-tu parler un peu plus à propos de: « je voulais ÊTRE le dessin! Je voulais m’approprier ces lieux. » (un exemple?)
Lorsque la soif de rêve et d’imaginaire est tel que l’on se sent dépérir de ne pas Être dans le dessin. Lorsque le besoin devient vital au point de devoir incarner le dessin pour survivre: On veut Être le dessin.
Petit déjà, j’avais soif de vivre dans ces univers que je dévorais de l’œil. Je mangeais les BD et ces « mondes » dessinés comme on termine un paquet de chips tout seul sur un canapé. Je crois profondément que l’illustration est le reflet de notre monde intérieur. Lorsque je dis « je voulais être le dessin! », je veux simplement dire que je voulais que ce monde dessiné soit réel, devant moi et pas seulement sur le papier.
Exemple : « En commencent mon petit road trip en Ardèche durant la période du Covid, je n’avais qu’une seule envie, celle de me réfugier dans une grotte, seul, pour m’y ressourcer et reprendre de l’énergie. J’ai donc visité plusieurs grottes, des petites et des grandes, des aménagées pour le public aux libres d’accès. L’objectif étant de s’en inspirer et de créer ma propre ambiance de grotte selon ma propre interprétation de manière à pouvoir me réfugier dans cette grotte autant que faire ce peut. Car au fond, le plus important étant que l’illustration finale représente ma grotte idéale et non pas une grotte spécifique pour en faire la carte postale touristique du lieu. »
Comment arrives-tu à dessiner à l’extérieur, à gérer le regard des autres? Comment rester concentré alors qu’il y a mille choses, bruits et personnes autour de nous?
J’ai pris beaucoup de temps pour dessiner à l’extérieur et sous le regard des autres sans me sentir gêné. Je choisi parfois un endroit en retrait pour être au calme et me fabriquer une « bulle protectrice » autour de moi. Mon casque sur les oreilles avec de la musique me permet aussi d’être recentré sur moi-même. Mais c’est chouette de pouvoir partager son regard aux curieux qui s’arrêtent. Le vrai problème c’est souvent l’affluence et le nombre de personnes qui vous interpelle.
De nouveaux projets?
Mon projet principal est de compiler mon travail et ces dizaines de mètres de rouleaux de dessins et d’aventures à travers l’édition d’un livre. Ce travail est en cours mais il faut bien avouer que je rame un peu pour « résumer » et lier le tout dans un ensemble logique et cohérent.
Artistiquement je souhaite m’orienter vers davantage d’illustration jeunesse et de fabrication d’objets de voyage.
ANNONCE
C’est la rentrée. Et surtout je pars au Cambodge bientôt. Donc c’est le moment de commander ces cadeaux. Tous les rouleaux existants sont en promotion jusqu’à épuisement des stocks. Le rouleau des danseuses est une exclusivité limitée à 99 exemplaires.
Une nouvelle version du Ramayana est aussi disponible avec toutes ses versions papier A4 ainsi qu’une édition limitée de Luxe géante.
Vous avez jusque fin octobre pour commander ce que vous voulez…ensuite je ferme la boutique. Le code promo « Ramayana2022 » vous donnera une réduction de 10% sur le rouleau des Danseuses (cliquez ici) ainsi que la version classique du Ramayana (cliquez ici).
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